La Nouvelle de la Semaine: Collet Monté

Le jeune homme se dirigea  vers la fenêtre pour l’ouvrir et ne manqua pas de s’attarder sur celle du voisin d’en face fermée ce soir encore.

– Satanée moiteur, il faut aérer cette chambre, j’étouffe.

 

Racim s’affala sur le lit puis étendit le bras pour tirer vers lui le livre qu’il venait d’entamer. Il ne s’agissait pas d’un roman mais d’un livre sur l’Histoire de la Psychiatrie qui lui avait permis d’en savoir davantage sur cette spécialité qui n’existait pas, il n’y pas si longtemps encore. C’est ainsi qu’il apprit que l’hystérie était exclusivement attribuée aux femmes et à leur utérus, qualifié de véritable animal vivant, depuis la plus haute antiquité et sût que même le métaphysicien Platon, qui partageait les croyances des Egyptiens sur la question, pensait que « Les hommes lâches et mauvais sont transformés en femmes dans une seconde naissance ». Sauf que, pensa-t-il, il y en a qui n’ont pas besoin de cela pour muer.

 

Comme tous les matins à son réveil, poussé  malgré lui par une curiosité nouvelle qu’il se devait d’assouvir, Racim jetait un œil sur la fameuse fenêtre du voisin.  Ce matin là, un jeune homme accoudé sur la rambarde grillait nonchalamment une cigarette. C’était la première fois qu’il le voyait. Un nouveau, probablement.

 

La journée a été longue, pour ne pas changer. Racim avait passé son temps à travailler sur son nouveau programme. Le climat aoûtien ne lui convenait pas du tout, il manquait d’air tout le temps et se voyait à chaque fois obligé d’utiliser son bronchodilatateur. Il était fatigué mais il avait promis à son ami qui habitait l’immeuble d’en face  justement, de faire une partie de belote avec lui.  C’est en rentrant chez lui, tard dans la nuit, qu’il se rendit compte que le vacarme qui les avait, son ami et lui, empêché de se concentrer sur le jeu venait de là. De l’appartement de Maitre Masmoudi.

– Il habite seul, l’avocat ?

– En tout cas, il n’est jamais seul.

– Mais il y avait  bien une vieille dame qui vivait ici, sa mère ?

– En tout cas, il n’est jamais seul.

 

Nabil était désespérant, il ne s’intéressait vraiment à personne. Les histoires des autres, il s’en moquait.

Dépité, Racim s’était tu.

L’homme au costume trois pièces ne commettait jamais aucune faute de goût. Il était toujours rasé de près, ses ongles bien brossés, ses cheveux coiffés sur le côté. Ses grands yeux noirs et son allure altière faisaient penser à un aristocrate..  déchu. L’avocat avait toujours cultivé cette image qui avait suscité, il en était de même pour sa mère, avec qui il avait toujours vécu, l’intérêt de son voisinage.

 

Le quadragénaire menait une vie de pépère, il se faisait discret, s’évertuait à être poli, reste qu’il avait un défaut qui énervait en général tous ceux qui l’abordaient, tantôt le saluaient, un sourire narquois qui semblait vouloir dire  aux autres, combien ils étaient insignifiants à ses yeux.

Le train venait de s’arrêter à la gare Centrale de Vienne, Westbahnhof. Il était midi trente, juste le temps de choper un taxi et de se rendre à l’appartement que lui avait loué Steve. Il avait tenu à ce qu’il ne soit pas éloigné de la station ferroviaire pour des considérations précises. Il fallait qu’il retourne à Paris deux jours plus tard et prendre à nouveau l’avion pour Alger où un dossier urgent l’attendait.

 

L’appartement de la rue Columbusgasse était convivial, tout à fait au goût de Skander. La chambre lui plaisait particulièrement. Son ami était arrivé juste après lui. Steve n’avait pas caché sa joie, cela faisait longtemps que Skander et lui ne s’était pas revus. Les deux amants étaient de suite sortis pour aller manger puis revenir pour terminer les derniers préparatifs de la soirée. Ils avaient invité du monde, d’autres couples. La soirée avait duré jusqu’au petit matin, comme d’habitude.

 

A Paris, même scénario. Skander Masmoudi avait passé la nuit dans son studio insonorisé, avec de nouvelles connaissances, cette fois.

Skander n’avait jamais essayé de comprendre l’origine de son inversion, pour reprendre la définition de Freud de l’homosexualité qu’il ne considérait pas comme une maladie. Maitre Masmoudi était d’une grande culture, il avait beaucoup lu mais avait évolué dans un milieu où ce dont on ne parlait pas, n’existait pas. Il avait essayé une fois de se confier à sa mère castratrice, de lui dire qu’il n’aimait pas le meilleur ami de son père, El hadj Brahim qui le faisait asseoir derrière le comptoir du café d’en bas et qui, quand les clients étaient rares, avait de drôles de jeux de main. Mais elle lui avait répondu qu’il n’était pas question de médire sur le compte de cet ami fidèle, l’avait sermonné et envoyé à chaque fois au lit. Depuis, il avait fini par s’y faire à ces jeux devenus plaisants qui plaisaient d’ailleurs à d’autres amis plus jeunes, tantôt plus vieux du cafetier.

 

De son côté, son père qui avait très tôt deviné l’orientation sexuelle de son fils avait quitté le domicile familial et n’était plus jamais revenu. Il les avait laissés seuls sa mère et lui. Depuis ce jour, Skander avait compris qu’essayer de vivre son homosexualité ouvertement, dans un pays où cette pratique contre nature est appréhendée comme un délit, ne servirait pas ses intérêts.

Fils unique, issu d’une famille aisée, il avait pu s’installer à son compte et  avait continué à feindre couler une vie ordinaire. Néanmoins, son penchant inexpliqué pour le célibat et ses voyages répétés n’avaient pas manqué de susciter la curiosité des voisins interloqués par les androgynes et autres androgames bien maniérés car maniérés malgré eux que fréquentait le vénérable Maitre Masmoudi.

 

Les absences de sa mère représentaient pour Skander autant d’occasion pour organiser des soirées bacchanales où les repas bruyants se mêlaient aux plaisirs érotiques qui duraient jusqu’au lendemain. Sur la pointe des pieds, les « orgiaques » repus d’amour  quittaient alors le domicile respectable du Maitre avachi sur son canapé, heureux et indifférent  aux qu’en dira-t-on.

Nina K.

 

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