Révision de la constitution : Ambiguïté dans la séparation des pouvoirs…

Le projet de la nouvelle constitution, a été remis à l’ensemble de la classe politique, aux acteurs de la société civile et autres personnalités nationales et académiciens pour “enrichissement” précise la présidence.

La copie rédigée par la commission des experts n’étant pas définitive.  La présidence de la République s’est engagée à prendre en considération les suggestions formulées.

Après avoir formulé  quelques observations essentiellement sur la forme dans le précèdent article intitulé « Révision de la constitution : En attente de débats contradictoires… » paru dans le même journal, nous allons essayer de répondre dans le présent article à  la question suivante :Le projet de la nouvelle constitution Algérienne promet-t-il une démocratisation ?

 

Lorsqu’on parle de régime politique, il est toujours question, dans les démocraties modernes, de séparation des pouvoirs. Il s’agit dans les faits de rester dans la logique d’un équilibre entre les pouvoirs dans une démocratie.

 

Ferdinand Mélin-Soucramanien et Pierre Pactet dans leurs manuel de référence  de droit constitutionnel écrivaient : « On peut réaliser l’équilibre des pouvoirs exécutif et législatif en organisant leur collaboration et en dotant le gouvernement et les assemblées de moyens d’action réciproques, de telle sorte qu’ils soient toujours en accord étroit ou, si cet accord vient à manquer, qu’il puisse être très rapidement rétabli, par modification de la composition politique de l’un des deux partenaires. C’est la voie du régime parlementaire.

 

D’autre part, poursuivent-ils « On peut réaliser l’équilibre de ces mêmes pouvoirs en cantonnant les organes exécutifs et les organes législatifs dans l’exécution de leurs tâches spécifiques, en les assurant qu’ils demeureront en fonction pendant toute la durée de leurs mandats et en évitant qu’ils ne disposent, les uns par rapport aux autres, de moyens d’action décisifs. C’est la voie du régime Présidentiel. »

 

Les moyens d’action décisifs étant absents, les organes exécutifs et les organes législatifs sont cantonnés dans l’exécution de leurs tâches spécifiques dans le projet de constitution proposé.

 

Cela étant, d’après l’explication de ces deux éminents constitutionalistes les propositions figurant dans la monture, présentent le régime Algérien comme étant un régime présidentiel.

Cette constatation est déjà une entrave à la démocratie si  on tient compte de l’absence de débat démocratique à ce sujet.

 

Mais ce n’est pas la dénomination qu’on peut donner au régime institué par la nouvelle Constitution Algérienne qui incombe, mais c’est plutôt l’analyse des modalités de répartition des pouvoirs qu’il a consacrée, avec les projections sur leur fonctionnement à venir qui nous intéresse.

 

Une des particularités du régime démocratique, c’est l’instauration de la « procédure de l’empêchement »comme outil de contre-pouvoir du parlement vis à vis du Chef de l’Etat. C’est-à-dire la mise en accusation du président par les représentants du peuple, pour violation grave de la Constitution et ce devant la Cour constitutionnelle, qui peut décider de sa révocation.

 

Cette institution qui vient pour la premiere fois d’être proposée comme mécanisme d’une très grande importance car, il assure l’État de droit en vérifiant la conformité des lois par un contrôle.

Mais la question qui se pose : Qui peut saisir cette institution constitutionnelle pour engager la procédure de l’empêchement ?

 

Dans les pays démocratiques, c’est le conseil constitutionnel qui est une institution en charge du contrôle de la conformité des lois vis-à-vis de la Constitution et du contentieux des élections nationales qui doit être saisi en premier lieu, qui lui doit engager la procédure d’empêchement au niveau de la cour constitutionnelle. Mais le conseil constitutionnel, a été supprimé dans le projet proposé, qui pourrait alors juger de la conformité vis-à-vis de la constitution ?

 

D’autres cas de figures pris en charge par les constitutions de régimes démocratiques :

La Constitution accorde au Président de la République le pouvoir de dissoudre l’Assemblée si celle-ci ne renouvelle pas sa confiance au gouvernement. Mais ce pouvoir peut avoir des répercussions négatives contre le Président de la République.

 

Le premier cas de figure, lorsque le Président demande à l’Assembléele renouvellement de sa confiance au gouvernement et que celle-ci la refuse, ce qui entrainera la démission de ce gouvernement, le Président sera appelé à charger la personne la plus apte à constituer un nouveau gouvernement.

Si cette personne réussit à constituer un gouvernement, qui réussit à son tour à obtenir la confiance du parlement, le Président de la République devra démissionner.

 

Deuxième cas de figure, si la personne chargée de constituer un gouvernement le fait, mais ne réussit pas à obtenir la confiance du gouvernement et que le Président dissout le parlement et appelle à des élections anticipées, si à l’issue de ces élections le gouvernement antérieurement constitué et qui avait été désavoué par l’ancienne Assemblée obtient la confiance de la nouvelle élue, le Président dans ce cas aussi devra démissionner.

 

Dans ce rapport triangulaire dans les constitutions de régimes démocratiques : Président de la République, gouvernement et Assemblée, le Président peut aussi procéder à la dissolution du parlement, lorsque suite à son élection et après quatre mois de tractations, cette dernière refuse sa confiance au gouvernement constitué par le représentant du parti ou de la coalition qui a obtenu le plus grand nombre de sièges au parlement, ainsi qu’à celui constitué,à défaut, par la personnalité que le Président de la République a jugé la plus apte à constituer un gouvernement.

 

Le Président de la République dissoudra aussi l’Assemblée lorsqu’il constatera que cette dernière « s’acharne » à bloquer la bonne marche des institutions, sachant que la Constitution qualifie le Président de la République en tant que garant de sa continuité.

 

Par ailleurs, il existe une distance de la répartition des pouvoirs entre les deux pôles de l’exécutif dans les régimes démocratiques. C’est une distance certaine consacrée par la Constitution.

 

Dans ce contexte le Chef de gouvernement, n’est pas dans un rapport vertical avec un Chef d’Etat qui décide de la politique générale de l’Etat et un gouvernement qui non seulement se contente de mettre en exécution sa politique mais en assume seul la responsabilité politique.

D’autre part, la Constitution est un mélange complexe entre une part statique et une part dynamique, et il appartient précisément aux acteurs politiques de compléter le tableau institutionnel statique inscrit dans la Constitution.

De ce fait, des cas de figures sont prévus par la constitution de régimes démocratiques engendrés par la balance des pouvoirs à l’épreuve des forces partisanes.

Les acteurs sont essentiellement des partis politiques, qui concourent aux élections en vue d’accéder au pouvoir et d’user des attributions que leur confère la Constitution.

Un des plus importants aspects de la Constitution des régimes démocratiquesc’est le statut constitutionnel, accordé à l’opposition, considérée comme un des réquisits de la démocratie.

Deux cas de figures sont pris en charge : Une situation de majorité concordante et une situation de majorités concurrentes.

 

Mais qu’entend-on d’abord par une situation de majorité concordante ?

Il s’agit de la situation dans laquelle, les élections législatives permettent à un parti politique, de disposer de la majorité des sièges au sein du parlement, majorité qui lui permettra de désigner le Chef de gouvernement et d’accorder sa confiance à l’équipe gouvernementale qu’il choisira, sans besoin de compromis avec une quelconque autre formation politique pour le soutenir.

 

Majorité aussi qui lui permettra de gouverner et en l’occurrence de faire passer les lois dont il a besoin pour le faire, seul et sans besoin de coalition, avec toutes les concessions que cette dernière suppose.

Si en plus de tout cela, les élections Présidentielles aboutissent à la victoire du candidat qui appartient à la même mouvance politique que celle qui est majoritaire au parlement, et qui dispose donc aussi du gouvernement, dans ce cas de figure, la séparation des pouvoirs n‘aura plus qu’une valeur nominale.

 

Parce que si les pouvoirs étaient effectivement séparés d’un point de vue organique, ils seraient du point de vue fonctionnel réunis entre les mains d’un même parti, qui dominera à la fois le législatif et les deux branches de l’exécutif.

Le contre point  dans ce cas,c’est rendre constitutionnelle l’opposition pour que le régime ne régresse pas vers l’autoritarisme.

C’est son statut constitutionnel garanti qui lui permettra d’exercer son contrôle, sur le gouvernement, via, les questions orales et écrites posées quotidiennement aux ministres, ou encore les motions de censure, même si l’opposition sait très bien que jamais elle ne pourra faire tomber le gouvernement en place, parce qu’elle ne dispose pas du nombre de voix nécessaire pour le faire.

 

L’opposition sait aussi que dans une démocratie elle est relayée par une presse libre et une société civile avisée, tous ces moyens de contrôle permettront de préparer la relève politique lors des élections suivantes.

Ceci en ce qui concerne la concordance des pouvoirs d’une façon générale.

 

Il arrive aussi que les deux pôles de l’exécutif appartiennent au même parti qui remporte les élections législatives, et présidentielles, le plus probable est que le candidat au poste de Chef de gouvernement sera une personnalité de second ou de troisième rang de ce parti, puisque son Chef aura été élu Président de la République.

Dans ce cas, au sein de l’exécutif ne sera plus le Chef du gouvernement, comme le laisse supposer la répartition des compétences entre ces deux institutions par la Constitution, mais le Président de la République, qui même s’il aura démissionné, entre temps, de son parti comme le lui enjoint la Constitution, n’en continuera pas moins à peser moralement sur le chef du gouvernement.

Dans ce cas aussi la constitutionnalisation de l’opposition est primordiale dans l’équilibre des pouvoirs dans la constitution des régimes démocratique.

Mais les choses seront plus compliquées en cas de majorités concurrentes :

On entend par situation de majorités concurrentes, celle dans laquelle, le Chef de l’Etat appartient à un parti politique alors que le Chef du gouvernement, issu lui-même d’une majorité ou d’une coalition parlementaire appartient à un autre parti.

Cette situation aura un impact sur le fonctionnement des institutions non seulement dans les rapports entre le parlement et le Président de la République mais au sein même de l’exécutif, entre le Président et le Chef du gouvernement.

 

Dans ce cas, les institutions constitutionnelles de contrôles en l’occurrence le conseil constitutionnel et la cour constitutionnelle joueront un rôle primordial dans l’équilibre des pouvoirs car, ces deux institutions sont réellement indépendantes.

 

De ce qui précède : Envisager les cas de figure cités dans notre future constitution, laisser la majorité parlementaire proposer le chef du gouvernement pour éviter une relation verticale et maintenir une distance constitutionnelle entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement, ouvrir le volet relatif à une situation de majorité concordante, consacrer le statut de l’opposition dans la nouvelle constitution, et rendre nos institutions de contrôles réellement indépendantes, sont les conditions qui promettent une démocratisation de la nouvelle constitution Algérienne.

A bon entendeur…

Docteur Rafik Aloui

 

 

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